Une robe couleur de jour

De Cécile A. Holdban, avec les aquarelles de Catherine Sourdillon

 Je veux naître dans la couleur.

C. A. H

Rêvée, peut-elle être révélée ? Une robe couleur de jour de Cécile A. Holdban façonne le jour comme un matériau dont la captation légère pourrait faire naître la couleur, celle de Catherine Sourdillon dans la lucarne de la couverture : matin traçant une ligne irrégulière, sismographe de l’aube à la teneur bleue et oranger. Nous lisons les poèmes en deux langues : quatre textes bleus, la couleur de l’encre choisie, et chaque langue, le français et le hongrois, en vis-à-vis. Miroir du livre, miroir des signes autrement agencés pour deux musiques différentes, toutes deux composent l’identité de la poète. Ce petit livre précieux des éditions de Lydia Padellec, aux aquarelles soigneusement reproduites, suit la parution des Poèmes d’après chez Arfuyen.

Le poème commence en septembre :

« Quinze minutes d’autobus suffisent
pour compter ce matin par les larges fenêtres
les arches des rayons portant de l’un à l’autre
le ciel de septembre. »

Arche, alliance, dans les livres de Cécile A. Holdban, un être qui écrit cherche et affirme le lien fragile de l’instant avec l’éternité pressentie. Monde simple, viatique réduit à « la lune, un arbre/un enfant et une hirondelle. »Tout le nécessaire pour un conte, comme celui de la Princesse aux cheveux d’or ou celui du roi Mathias et ses douze princesses à marier. Mais cet univers est aussi celui du quotidien dans lequel circulent des « autobus », en page de gauche, « buszút » sur celle de droite.

Nous avons pu entendre ces poèmes dans leurs deux langues, deux mélodies aux rythmes différents, lors d’une lecture organisée par l’éditrice. Deux étages de la tour de Babel heureusement rassemblés. Étages a priori éloignés : le titre (deux mots en hongrois, cinq en français) nous montre que le hongrois est une langue agglutinante, donc très différente du français. Nous pouvons cependant reconnaître certains mots, comme « szeptemberi » pour « septembre » qui ouvre l’automne de ces poèmes, ou « orlok » pour « parfois » que nous identifions grâce à la répétition proche. D’autres nous surprennent par leur figure surmontée de signes diacritiques comme hirondelles au-dessus des blés avant la pluie et l’arc-en-ciel : « öltözöm », «újjászületni », « fehérségből ».

Les deuxième et troisième vers du quatrain cité au début de cet article, parfaits alexandrins, sont traduits sur la page d’en face par des vers de longueur très différente. Le troisième déborde :

« Negyedórányi buszút épp elég,
hogy a széles ablakokon át ma reggel
összeszámláljam az ívelt sugarakat, melyek a szeptemberi
eget kettőnk közé kifeszítik »

Il s’agit bien de deux versions différentes pour faire entendre le même poème.

C’est à l’aube que se métamorphosent les couleurs. Fugitives elles glissent, elles réveillent les tonalités, alors le superlatif absolu excède sa qualification, « beaucoup d’herbe, très verte » ; « très lentement » s’opère la levée du sommeil de nuit pour que la vie, mouvement de grâce et « temps de l’or », touche le corps. Ou est-ce l’amour ? « [T] u déplies la lumière. » « [H] erbe », « perles de givre », « elles roulent jusqu’à mes pieds », le jour ne se contente pas de rejoindre la lumière, il fait naître couleur. Raccourci saisissant, alliant la « robe couleur de jour » à la révélation de s’éprouver vivant. Tout concourt en s’éveillant à gagner l’intériorité de l’être qui dès lors rayonne. Poète, celle qui se laisse effleurer par le coudrier enchanté du monde au matin. Juxtaposition constante, elle mime la simultanéité des sensations qui se rencontrent, éclatent ou fusionnent, comme les êtres et le ciel :

« Les oiseaux cachent sous leurs ailes
les ombres de la nuit ».

Distique non ponctué, détaché, mais touchant la nuit qui n’est plus et le jour qui point. Aux intercesseurs la liberté de mettre à l’abri la nuit pour quelques heures et les fleurs à leur tour, par leurs pétales, deviennent envolée, ailes pour que le ciel soit l’espace de renaissance. Alors une double page propose deux aquarelles bleues de Catherine Sourdillon traversées par le brun comme une ligne de fuite et de vie animant l’horizon, se répondant comme les pages d’un même poème en deux langues. Tout est prêt pour la rencontre : la terre, fendue par les herbes et les oiseaux, accueille l’autre, « tu », fastueux, « main qui ouvrait l’été » à l’imparfait d’une éternité sans faille.

Isabelle Lévesque, « La pierre et le sel », juillet 2016

http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2016/07/recueil-c%C3%A9cile-a-holdban-une-robe-couleur-de-journapsz%C3%ADn-ruh%C3%A1ban.html